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Dans la récente décision In Re Hudson's Bay Company 1 (« HBC »), la Cour supérieure de justice de l'Ontario (la « Cour ») a rejeté une requête de la Compagnie de la Baie d'Hudson (« La Baie d'Hudson ») visant à céder 25 des baux de ses magasins à un nouveau locataire. La principale question que le tribunal devait trancher était de savoir si le cocontractant d'une entité insolvable devrait être contraint de maintenir sa relation contractuelle avec une nouvelle partie afin de maximiser le recouvrement pour les créanciers. Dans les circonstances de l'espèce, et plus particulièrement après avoir soupesé les intérêts des parties prenantes, le tribunal a répondu par la négative à la question et a statué en faveur des locateurs cocontractants.
Contexte
Le 7 mars 2025, La Baie d'Hudson, la plus ancienne société en Amérique du Nord et une pierre angulaire de l'histoire canadienne, a entamé des procédures sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies 2 (la « LACC »). De nombreuses ordonnances et inscriptions ont été rendues dans le cadre de ces procédures jusqu'à maintenant. Compte tenu de la longue et riche histoire de la société et de son importante présence dans le secteur du commerce de détail au Canada, les efforts de restructuration de La Baie d'Hudson, et surtout la gestion des baux de ses magasins, ont attiré l'attention des médias.
La requête soumise à la Cour portait sur un projet de convention d'achat d'actifs entre La Baie d'Hudson et Ruby Liu Commercial Investment Corp. («Central Walk »), aux termes de laquelle, entre autres, les droits de La Baie d'Hudson sur 25 baux de magasins auraient été cédés à Central Walk (l'«opération »). Des cessions proposées, 24 ont été vivement contestées par les locateurs cocontractants, qui ont soulevé des préoccupations au sujet du plan d'affaires de Central Walk.
En outre, La Baie d'Hudson a également demandé une déclaration selon laquelle certaines dispositions de ses baux avec Ivanhoé Cambridge étaient nulles et non exécutoires en tant que clauses ipso facto, en violation de la règle anti-privation en common law et de l'article 34 de la LACC qui interdit, entre autres, à un cocontractant de résilier un contrat avec une société débitrice au seul motif que la société est insolvable ou qu'elle a entamé des procédures sous le régime de la LACC.
Le 24 octobre 2025, le juge Osborne a rendu sa décision très attendue.
La décision
Cession de contrats en vertu de la LACC
L'évaluation de l'opération Central Walk par la Cour portait principalement sur la question de la cession de contrats. L'article 11.3 de la LACC confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de céder des contrats, même sans le consentement des cocontractants concernés. En soulignant le caractère extraordinaire de ce pouvoir discrétionnaire, le juge Osborne a cité avec approbation le passage suivant de la décision du juge Dunphy dans l'affaire Dundee Oil and Gas Limited (Re) [traduction] :
L'article 11.3 de la LACC confère un pouvoir extraordinaire. Il permet au tribunal d'exiger que les parties à un contrat à exécuter acceptent l'exécution future de la part d'une personne avec laquelle elles n'ont jamais convenu de traiter. N'eût été l'art. 11.3 de la LACC, un cocontractant qui se trouverait dans la fâcheuse situation d'avoir un cocontractant failli ou insolvable pourrait au moins se consoler en pensant récupérer rapidement sa liberté de disposer de l'objet du contrat. Contrairement aux créanciers, le cocontractant qui fait l'objet d'une cession non consensuelle devra gérer le risque de crédit du cessionnaire après l'insolvabilité et possiblement pendant longtemps. Les créanciers, quant à eux, pourront récupérer leur dû et passer à autre chose 3.
Le paragraphe 11.3(3), en particulier,exige que le tribunal tienne compte, entre autres, des trois éléments suivants pour décider s'il doit rendre une ordonnance de cession des droits et obligations d'une société débitrice :
- L'acquiescement du contrôleur au projet de cession, le cas échéant;
- La capacité de la personne à qui les droits et obligations seraient cédés d'exécuter les obligations;
- L'opportunité de lui céder les droits et obligations4.
Après avoir examiné la jurisprudence relative à l'article 11.3 ou à la disposition analogue de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité 5, le paragraphe 84.1(4), la Cour a énuméré une liste de principes directeurs :
- Il incombe à la partie qui demande la cession de prouver son caractère approprié.
- Le demandeur doit démontrer qu'il respecte les exigences énoncées à l'article 11.3 de la LACC.
- La norme d'évaluation pertinente est celle du caractère raisonnable.
- L'analyse est factuelle.
- Il doit exister un fondement probatoire permettant de conclure que le cessionnaire proposé serait en mesure d'exécuter les obligations pécuniaires et non pécuniaires requises, dans une mesure raisonnable, mais il n'est pas nécessaire de garantir leur exécution. L'évaluation à cet égard ne se limite pas aux ressources financières du cessionnaire proposé.
- Les facteurs à prendre en considération au paragraphe 11.3(3) de la LACC ne sont ni obligatoires ni exhaustifs.
- Si la cession proposée fait partie d'une vente d'actifs, le tribunal doit également tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 36(3) de la LACC, des principes énoncés dans l'arrêt Soundair et de la conformité au processus de vente approuvé par un tribunal.
- Puisque l'article 11.3 permet au tribunal d'approuver une cession sans le consentement du cocontractant, son consentement ou son refus, ainsi que le caractère raisonnable de ce refus, ne sont pas pertinents pour l'analyse du tribunal.
- La durée restante du contrat est un facteur pertinent dans l'analyse, surtout lorsque la durée restante, y compris les périodes de renouvellement, est particulièrement longue. L'appréciation de la capacité du cocontractant à s'acquitter de ses obligations courantes aux termes d'un contrat n'est pas la même si le contrat comporte une exigence de paiement unique ou s'il s'agit d'un bail à long terme assorti d'obligations pécuniaires et non pécuniaires continues.
- Pour déterminer si une cession est appropriée, il
faut tenir compte de ce qui suit :
- ce qui est juste et équitable dans les circonstances;
- les intérêts de toutes les parties prenantes;
- si la cession proposée favorise la continuité de l'exploitation ou facilite la vente d'actifs dans le cadre d'un processus de liquidation;
- l'importance relative et le caractère significatif de la cession proposée par rapport à la restructuration ou à la liquidation globale;
- si la cession du contrat est proposée sans modification ou sous réserve de modification6.
Appliquant les principes décrits ci-dessus, la Cour a conclu que la cession proposée des baux dans l'opération Central Walk n'était pas appropriée dans les circonstances uniques de l'espèce. La décision est motivée notamment par ce qui suit : le manque de soutien du contrôleur; le nombre de baux à céder et la grande taille des locaux occupés par un magasin pilier; la durée résiduelle importante des baux (qui, dans certains cas, approchait les 100 ans si toutes les options étaient exercées); le manque de qualifications en commerce de détail du cessionnaire proposé et les préoccupations concernant la faisabilité de son plan d'affaires; le fait que l'opération s'inscrive dans le contexte d'une liquidation et non d'une acquisition plus large visant la continuité d'exploitation; et la conduite de Central Walk et de son directeur au cours des événements qui ont conduit à la requête en cession proposée.
Plus particulièrement, une grande partie de l'analyse de la Cour portait sur le plan d'affaires présenté par Central Walk pour les activités dans les locaux loués. La Cour a reconnu les préoccupations des locateurs cocontractants quant à la capacité de Central Walk à respecter ses obligations pécuniaires et non pécuniaires prévues dans les baux, et a accepté leur preuve selon laquelle les prévisions relatives aux revenus, aux coûts et aux échéanciers de Central Walk n'étaient pas réalistes et que le plan d'affaires ne tenait pas compte de la complexité du travail requis pour établir et ouvrir une nouvelle chaîne de grands magasins. Le manque d'expérience de la haute direction et les ressources financières insuffisantes de Central Walk ont également été soulignés. En fin de compte, la Cour a conclu que le plan d'affaires était [traduction] « déficient » et que Central Walk était « bien loin de la norme du caractère raisonnable en ce qui concerne le deuxième facteur énoncé au par. 11.3(3)7 ».
La Cour a déclaré qu'elle devait avant tout déterminer quels intérêts devaient être priorisés : ceux d'un des créanciers garantis, qui bénéficierait du produit de la cession, ou ceux des locateurs cocontractants8. Étant donné l'absence d'une issue possible quant à la continuité de l'exploitation, elle n'a pas trouvé de raison impérieuse d'accorder la priorité aux intérêts du créancier garanti plutôt qu'à ceux des locateurs cocontractants. En conclusion, elle a fait remarquer que le fait d'autoriser la cession proposée [traduction] « constituerait un exercice extraordinaire du pouvoir discrétionnaire du tribunal de modifier les droits de parties privées depuis près d'un siècle, conformément à ce qui est déjà un pouvoir extraordinaire conféré par l'article 11.3 de la LACC9 ».
Par conséquent, le juge Osborne a rejeté la requête visant à approuver les cessions à Central Walk, notamment en raison des circonstances uniques de l'affaire10. À la suite de cette décision, La Baie d'Hudson a émis des avis de résiliation à l'égard des baux en question 11.
Clauses ipso facto
Comme la Cour n'a pas approuvé les cessions de baux, elle n'a pas eu à examiner la requête relative aux dispositions contestées des baux d'Ivanhoe Cambridge (les « baux d'IC »). Toutefois, le juge Osborne a formulé des remarques incidentes au sujet des clauses anti-privation et ipso facto et a souligné que la Cour n'aurait pas déclaré les dispositions nulles et inapplicables.
Les dispositions contestées ont été créées dans le cadre d'un examen de portefeuille plus vaste mené en 2023 par Ivanhoé Cambridge et La Baie d'Hudson. Cet examen a donné lieu à une entente qui résiliait un certain nombre de baux initiaux, lesquels comportaient des modalités favorables pour les locataires, et prévoyait leur rétablissement en novembre 2028 si La Baie d'Hudson n'était pas alors en défaut à l'égard de ses obligations prévues dans les baux. Aux termes des baux d'IC, l'insolvabilité du locataire constituait un cas de défaut.
Selon la règle anti-privation en common law, une disposition contractuelle qui enlève de la valeur à l'actif d'un débiteur au détriment des créanciers en cas d'insolvabilité ou de faillite du débiteur (aussi appelée clause ipso facto) est réputée nulle et non exécutoire. L'article 34 de la LACC codifie cette règle et rend inexécutoire une disposition contractuelle qui, en raison de l'insolvabilité ou de la faillite du débiteur, entraîne la résiliation ou la modification d'un contrat ou le paiement anticipé ou la déchéance du terme12.
En l'espèce, le juge Osborne a fait remarquer que les clauses contestées des baux d'IC ne portaient pas atteinte à un droit existant. À cet égard, la Cour s'est demandé si La Baie d'Hudson aurait aujourd'hui le droit de revenir aux baux initiaux, n'eût été son insolvabilité. En vertu des nouveaux baux d'IC, la détermination à savoir si ce droit existe n'aurait pas lieu avant 2028. Un certain nombre de conditions préalables devraient aussi être remplies avant que La Baie d'Hudson puisse se prévaloir de ce droit. Autrement dit, aucun droit n'a été retiré. Même si la Cour avait approuvé la cession des baux, elle aurait refusé d'émettre une déclaration confirmant que les dispositions concernant le rétablissement des baux initiaux étaient des clauses ipso facto et violaient la règle anti-privation en common law et l'article 34 de la LACC.
Implications et points à retenir
La décision HBC précise les principes pris en compte lorsqu'un tribunal est appelé à céder un contrat sans le consentement du cocontractant comme l'autorise l'article 11.3 de la LACC. Comme c'était le cas dans cette décision, nous nous attendons à un examen judiciaire accru des demandes de cessions contractuelles forcées, y compris un examen attentif du plan d'affaires et des ressources financières du cessionnaire proposé pour satisfaire aux obligations contractuelles courantes. De plus, lorsque la durée de l'entente à céder est importante, il peut s'agir d'un facteur déterminant en défaveur de la cession forcée. Un autre facteur qui peut nuire à une cession forcée est si le débiteur cherche à obtenir une liquidation sous le régime de la LACC plutôt qu'une restructuration. La décision nous rappelle également que les intérêts des créanciers garantis ne sont pas le seul facteur pertinent à prendre en considération dans les demandes présentées sous le régime de la LACC et que les intérêts de toutes les parties prenantes doivent être pris en considération et soupesés.
Footnotes
1. In Re Hudson's Bay Company, 2025 ONSC 5998 [HBC].
2. Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C36 [LACC].
3. Décision HBC, par. 27, citant Dundee Oil and Gas Limited (Re), 2018 ONSC 3678, par. 27.
4. LACC, par. 11.3(3).
5. Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, dans sa version modifiée.
6. Décision HBC, par. 43.
7. Décision HBC, par. 101.
8. Décision HBC, par. 133.
9. Décision HBC, par. 142.
10. Décision HBC, par. 142.
11. Voir : In the Matter of HUDON'S BAY COMPANY ULC et al, Cour supérieure de justice de l'Ontario, dossier no CV-25-00738613-00CL, 3 novembre 2025.
12. LACC, art. 34.
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