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17 October 2025

Un tribunal américain reconnaît le Canada comme centre d'intérêts principaux dans l'affaire Iovate

Dans la récente décision Re: Iovate Health Sciences International Inc. et al (« Iovate »), le tribunal de la faillite des États-Unis (United States Bankruptcy Court) a conclu que...
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Dans la récente décision Re: Iovate Health Sciences International Inc. et alIovate »), le tribunal de la faillite des États-Unis (United States Bankruptcy Court) a conclu que le centre d'intérêts principaux (« CIP ») d'une société américaine était au Canada. Il s'agit de la troisième décision récente qui concerne des entités canadiennes et une société américaine faisant partie du groupe de débiteurs et dans laquelle il est conclu que le CIP de la société américaine est au Canada. La décision Iovate clarifie les circonstances dans lesquelles la présomption selon laquelle le CIP d'une entité relève de l'adresse de son siège social peut être réfutée.

Contexte

En déterminant le CIP d'un débiteur, il est possible d'identifier le territoire le plus lié aux affaires du débiteur, pour faciliter la résolution des créances en un seul endroit1. Le paragraphe 16(3) de la Loi type sur la reconnaissance et l'exécution des jugements liés à l'insolvabilité prévoit la possibilité de réfuter la présomption que le CIP d'un débiteur relève de l'adresse de son siège statutaire (ou siège social)2. Cependant, il ne spécifie pas quelle preuve est nécessaire pour réfuter une telle présomption.

Dans ce cas-ci, Iovate Health Sciences International Inc. (« Iovate International ») a présenté une requête de mesures provisoires en sa qualité de représentant étranger autorisé, pour elle-même, Iovate Health Sciences USA Inc. (« Iovate USA ») et Northern Innovations Holding Corp. (« Northern Innovations ») (collectivement, avec les membres du groupe qui ne sont pas des débiteurs, « Iovate Group »). Iovate Group est une marque du secteur de la santé et du bien-être, spécialisée en suppléments et vitamines. Elle est établie à Oakville, en Ontario, et distribue des produits à l'échelle internationale3.

Iovate International et Northern Innovations sont des sociétés de l'Ontario, toutes deux ayant leur siège social à Oakville. Iovate International, principale entité exploitante du Iovate Group, exploite également le principal établissement de l'entreprise à Oakville. Elle est détentrice de l'inventaire, des matériaux bruts, de la majorité de l'encaisse, des comptes débiteurs hors États-Unis et d'autres actifs du Iovate Group. En plus, Iovate International compte 165 employés au Canada et 2 au Royaume-Uni. Northern Innovations a un siège social à Oakville et n'a aucun employé. Elle est détentrice de la propriété intellectuelle du groupe4.

Iovate USA est une société à responsabilité limitée du Delaware dont le siège social est situé à Wilmington, au Delaware. Elle supervise l'entreposage et la logistique des tiers pour les clients du groupe à l'extérieur du Canada. Iovate USA compte 11 employés aux États-Unis. Elle gère les relations du Iovate Group avec les clients établis aux États-Unis, et est détentrice des comptes débiteurs correspondants. La pratique de gestion de l'encaisse du Iovate Group consiste à déposer les créances d'Iovate USA dans un compte établi à New York, qui sont ensuite transférées quotidiennement par le Iovate Group dans ses comptes canadiens5.

Le 5 septembre 2025, Iovate International, Iovate USA et Northern Innovations ont chacune déposé un avis d'intention de faire une proposition au sens de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (Canada)6. Le 9 septembre 2025, la Cour supérieure de justice de l'Ontario a rendu une ordonnance qui, entre autres mesures, autorisait Iovate International à agir à titre de représentant étranger des débiteurs. Iovate International a par la suite entamé des procédures en vertu du chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis (le «Code »).

La décision

Le tribunal a conclu qu'Iovate International, à titre de représentant étranger, s'était acquittée du fardeau qui lui incombait, selon l'article 1519 du Code, pour les mesures provisoires.

Tout d'abord, les débiteurs satisfaisaient à la définition de « débiteur » (debtor) du Code, qui exige de détenir des biens aux États-Unis. Les débiteurs ont chacun un contrat de services auprès d'un cabinet d'avocats de New York. Puisque ces contrats constituent des « biens » au sens de l'article 109 du Code, l'exigence selon laquelle un débiteur doit détenir des biens aux États-Unis était respectée. De plus, le compte bancaire distinct d'Iovate USA à New York satisfaisait de façon indépendante à cette exigence. Il a également été conclu qu'il était approprié de traiter les procédures relatives au chapitre 15 dans un tribunal de New York puisque les seuls biens des débiteurs aux États-Unis s'y trouvaient7.

Puis, le tribunal a conclu que la procédure canadienne constituait vraisemblablement une [traduction] « procédure étrangère principale » pour les débiteurs. Une telle procédure a lieu dans le pays où le débiteur a son CIP8. Le Code ne donnant pas de définition de « CIP », le tribunal s'est appuyé sur le paragraphe 1516(c) qui présume que l'adresse du siège social ou de la résidence habituelle est le CIP. Dans la décision Iovate, le tribunal a confirmé que cette présomption peut être réfutée par les circonstances entourant le moment où un débiteur dépose sa requête en vertu du chapitre 15, y compris la liste non exhaustive de facteurs suivante :

  1. L'adresse du principal établissement du débiteur;
  2. L'emplacement des gestionnaires réels du débiteur;
  3. L'emplacement des principaux actifs du débiteur;
  4. L'emplacement de la majorité des créanciers du débiteur ou des créanciers concernés par l'affaire;
  5. Le territoire dont les lois encadreraient la majorité des différends;
  6. Les attentes des créanciers, telles qu'elles sont déterminées selon les informations publiques;
  7. Les efforts de restructuration du débiteur avant le dépôt de la requête.

De plus, le tribunal a formulé une mise en garde indiquant qu'il pourrait procéder à une [traduction] « analyse holistique » pour évaluer si un débiteur a tenté de définir faussement son CIP à son avantage9.

En appliquant les critères susmentionnés, le tribunal a conclu sans hésitation que le CIP d'Iovate International et de Northen Innovations, toutes deux des sociétés canadiennes, était le Canada. En ce qui concerne Iovate USA, il a estimé que les circonstances pertinentes étaient suffisantes pour réfuter la présomption légale selon laquelle le CIP était aux États-Unis et affirmer qu'il était plutôt au Canada. Pour ce faire, le tribunal s'est appuyé sur la nature hautement intégrée des affaires commerciales du Iovate Group (qui étaient principalement gérées et exploitées à partir du Canada), ainsi que sur l'emplacement de la haute direction d'Iovate USA (soit en Chine ou au Canada; à l'extérieur des États-Unis). Et surtout, Iovate USA dépendait des fonctions de gestion, d'affaires, de finances et d'autres fonctions opérationnelles qui étaient exercées au Canada.

Étant donné la nature provisoire des mesures demandées par Iovate International, le tribunal a également appliqué le critère relatif à l'injonction interlocutoire, qui évalue notamment si le refus des mesures demandées peut causer un préjudice irréparable, et la prépondérance des préjudices. En l'espèce, le tribunal a conclu qu'il existait un risque important de préjudice irréparable découlant de mesures d'exécution par les créanciers si les mesures provisoires n'étaient pas accordées. De plus, le tribunal a déterminé que la prépondérance des préjudices favorisait l'approbation de ces mesures, puisqu'elles protégeraient le patrimoine des débiteurs et bénéficieraient aux créanciers. Il a aussi jugé qu'elles étaient dans l'intérêt public et conformes aux politiques sous-jacentes du Code et du chapitre 15 et que le fait de permettre une solution de rechange internationale à l'arrêt de la procédure canadienne éroderait le patrimoine des débiteurs. En outre, les mesures provisoires permettraient de réduire les incohérences entre les tribunaux de différents territoires et faciliteraient la coopération avec le tribunal au Canada. Enfin, le tribunal a fait remarquer que les parties concernées étaient suffisamment protégées parce qu'elles pouvaient s'adresser au tribunal canadien et demander des mesures dans le cadre des procédures d'insolvabilité canadiennes des débiteurs10.

Implications et points à retenir

La décision Iovate précise l'analyse que doit effectuer le tribunal de la faillite des États-Unis dans le cadre des procédures en vertu du chapitre 15 pour déterminer le CIP d'une société américaine. Le tribunal doit adopter une approche holistique, en tenant compte du fonctionnement de la société américaine comme partie d'une société transfrontalière plus importante, ainsi que de toute tentative du groupe de débiteurs de se soumettre à un tribunal plus avantageux. Cette précision permet de comprendre plus clairement l'approche que prend le tribunal de la faillite des États-Unis pour déterminer l'octroi de mesures provisoires dans le cadre des procédures en vertu du chapitre 15 entamées par des sociétés des deux côtés de la frontière, et illustre la reconnaissance par les tribunaux américains de l'augmentation des dépôts transfrontaliers au cours des dernières années. La décision Iovate s'inscrit dans une tendance croissante où les tribunaux américains reconnaissent le Canada comme CIP d'entités transfrontalières, même lorsque certaines sociétés débitrices sont constituées aux États-Unis. Elle renforce l'approche fonctionnelle relative au CIP, qui met l'accent sur les activités commerciales réelles plutôt que sur l'enregistrement obligatoire désigné.

Footnotes

1 Alfonso Nocilla, Modified Universalism and COMI: A Comparative Analysis, 2024 22 Annual Review of Insolvency Law, 2024, p. 13.

2 CNUDCI, Loi type de la CNUDCI sur l'insolvabilité internationale avec Guide pour l'incorporation et l'interprétation (Vienne : Nations Unies, 2014), en ligne (pdf) : CNUDCI [LTI].

3 Re: Iovate Health Sciences International Inc, 25-11958-mg (Bankruptcy Southern Dist. N.Y. 2025), p 3.

4 Ibid.

5 Supra, note 3, p 10.

6 Article 50.4 de la LFI.

7 Ibid., p. 11.

8 Ibid., p. 18, citant l'alinéa 1517(b)(1) du Code.

9 Ibid., p. 21, citant Re: Fairfield Sentry Ltd, 714 F.3d 127, 137 (2d Cir. 2013) 440 B.R, p. 66.

10 Ibid., p. 27.

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